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Thomas Piketty : « Les leçons de la Constitution de Weimar pour aujourd’hui »

Il y a tout juste un siècle, au printemps 1924, la gauche allemande se lançait dans un combat difficile pour redistribuer les richesses des Hohenzollern, la famille régnante qui venait de perdre le pouvoir outre-Rhin avec l’abdication de Guillaume II et la création de la République de Weimar, en 1919. Riche de leçons pour aujourd’hui, cet épisode méconnu mérite d’être rappelé. Il illustre la capacité des élites à utiliser le langage du droit pour perpétuer leurs privilèges, quelles que soient l’ampleur de leur fortune et l’importance des besoins collectifs : hier la reconstruction des sociétés européennes meurtries par les guerres, aujourd’hui les nouveaux défis sociaux et climatiques.
L’épisode est d’autant plus intéressant que la Constitution de Weimar est considérée comme l’une des plus avancées sur le plan social et démocratique. En particulier, le texte constitutionnel de 1919 comme la Loi fondamentale de 1949 adoptent une définition novatrice de la propriété, envisagée dans sa finalité sociale, et non pas comme un droit strictement individuel et sans limites, indépendamment des besoins matériels et des groupes sociaux concernés. Le texte de 1919 prévoit ainsi que la loi fixe le régime de propriété immobilière et la répartition des sols en fonction d’objectifs sociaux, comme le fait d’assurer « une habitation saine à toutes les familles » et « un foyer d’activité économique correspondant à leurs besoins » (article 155). Adopté dans un contexte quasi insurrectionnel, le texte a permis d’importantes redistributions de terres et de nouveaux droits sociaux et syndicaux.
Le texte de 1949 affirme, pour sa part, que le droit de propriété n’est légitime que dans la mesure où il « contribue au bien-être général de la collectivité » (article 14). Il mentionne explicitement que la socialisation des moyens de production et la redéfinition du régime de propriété entrent dans le domaine de la loi (article 15). Les termes utilisés ouvrent la possibilité de réformes structurelles telles que la cogestion. La loi de 1951 décide que les représentants des salariés disposent de 50 % des sièges dans les organes dirigeants (conseils d’administration ou de surveillance) des grandes entreprises de l’acier et du charbon, indépendamment de toute participation au capital. La loi de 1952 étend le système à tous les secteurs d’activité. La loi de 1976 fixe le régime en vigueur actuellement, avec un tiers des sièges pour les salariés dans les entreprises comprenant entre cinq cents et deux mille salariés, et la moitié des sièges pour celles de plus de deux mille salariés.
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